⇤ home

les deux bouffons

lassé par ses conflits, un roi fit une fête.

furent conviés : nobles, chevaliers, seigneurs,

pour qu’on rit, deux bouffons et leurs maîtres.


à l’annonce, les maîtres prirent peur

car chacun savait l’autre meilleur !

bien heureusement cette profession

ne tombe jamais à court de ruses

l’un a un elixir, l’autre une potion

la verse dans la coupe du concurrent futur,

boivent, attendent, ont sommeil…

deux maîtres en moins, reste deux élèves.


seul et désemparé la veille

de la célébration du siècle,

le premier ne trouve pas la paix,

s’inquiète la nuit durant, cherche

le savoir du mentor dans d’obscurs feuillets,

de quoi impressionner notre maussade altesse,

répète un tour, en change, sans conviction

en essaie ainsi jusqu’au lever du jour

et jusqu’à l’appel fatal du clairon.

les yeux lourds, devant l’aéropage,

salue, annonce qu’il va dompter un lion,

le fou hagard et le fauve en cage

finissent comme vous l’imaginez.


au début de la digestion

arrive l’autre : il a mangé,

il a dormi. voilà, dit-il, messire,

l’histoire de ma vie (il a

laissé tomber deux balles, transpire,

et s’emmêle dans ses entrechats)

j’aimais le chant, les marches, l’armée

voulais être soldat, suis bouffon

et aime pourtant la destinée

car si elle oublia mon nom,

elle nous donna un souverain

pour être juste et sans défauts

et pour terrasser les anglais.

c’est tout. il a raté son numéro,

pas sa sortie : est engagé,

joue du tambour. d’une bataille

presque perdue, on ramena

le clown joueur bardé d’entailles

qui fut donné comme un héros.

nous n’aurions pu, dirent ceux-là,

gagner sans son divin tempo.

le roi l’admit à son concile

et fit du fou un nobliau.

que la vie peut être facile

quand on sait taper sur une peau !


la morale peut paraître risible

mais elle tient pourtant en deux mots :

nul n’est tenu à l’impossible,

les maîtres ne meurent jamais trop tôt.