⇤ home

si je vous dis que je l'ai écrit

un trou rectangulaire est aménagé dans la scène. il est long comme un homme et large comme deux. deux personnages sont allongés, à moitié dedans : leur corps est à moitié glissé dans le trou, seules leurs jambes dépassent. ils conversent.

— si je vous dis que l’ai écrit…

— (silence.) impossible.

— (silence.) et pourquoi ?

— (silence.) parce que je sais qui l’a écrit… (silence.) c’est moi.

— alors là pardon ! mais c’est moi !

— voilà qui m’étonnerait. je peux prouver que c’est moi.

— allez-y !

— vladimir…

— mon vladimir !

— mon vladimir ! mon vladimir… c’est mon beau-frère.

— vladimir !

— oui.

— votre beau-frère !

— parfaitement.

— c’est ma soeur.

— excusez-moi…

— je vous dis que c’est ma soeur. et que c’est moi qui l’ai écrit !

— si je vous dis que c’est moi ! vladimir pisse partout, comme mon beau-frère !

— et il oublie tout, comme ma soeur !

— ça ne prouve rien…

— ah mais pardon ! j’ai des lettres d’elle qui l’attestent. elle m’a fourni mille détails… pour m’aider… quand je l’ai écrit.

— si je vous dis que c’est moi ! moi, vladimir ! moi, estragon !

— mon estragon ! estragon, c’est votre soeur peut-être ?

— non…

— ah !

— c’est ma mère.

— votre mère !

— si je vous le dis ! elle a pratiquement écrit le rôle elle-même. je n’avais qu’à lui voler des phrases : “tu parles d’une privation” par ci, “je me déchausse” par là…

— bien sûr ! et si on lui demande, elle vous a vu l’écrire ?

— bien sûr !

— vous persistez à croire que vous l’avez écrit ?

— si je vous le dis !

— incroyable… (silence) et je suppose… et pozzo, lucky…

— mon frère, mon chien.

— votre chien !

— si je vous dis !

— incroyable… (silence) et samy ?

— ma paty ! (silence) quel samy ?

— ah ! monsieur je-sais-tout, monsieur j’ai-tout-écrit… samy c’était un personnage que mon éditeur a supprimé, mais qu’on retrouve dans mes brouillons… puisque je l’ai écrit.

— si je vous dis que je l’ai écrit ! d’ailleurs, samy, ça me revient.

— il ose !

— je m’étais inspiré… de mon beau-frère.

— l’infâme !

— mais son portrait ne lui plaisait pas…

— il persiste !

— aussi, je l’ai enlevé.

— il signe ! tout ! même mon oeuvre ! j’enrage.

— calmez-vous ! calmez-vous ! calmez-vous ! (silence) vous avez mentionné l’éditeur…

— mon éditeur !

— monsieur lindu…

— monsieur donver !

— peu importe son nom… lui nous dira bien qui a écrit quoi !

— si je…

— si je vous dis que je l’ai écrit, je sais… si on allait le voir ?

— on ne peut pas.

— pourquoi ?

— on attend. (silence) et vous savez qu’on l’attend, puisque vous l’avez écrit.

— vous voyez !

— j’ai surtout vu votre piège… pas mal. vous êtes l’admirateur le plus têtu que j’ai eu.

— l’ad… moi, l’écrivain, admirateur ? l’entêté ! si je vous dis…

— mais dites ce que vous voulez ! je vous dis que c’est…

— moi !

— moi !

— qui l’ai…

— écrit !

— (silence) (ensemble :) point final !

— (silence)

— (silence)

— c’est bien aussi…

— le silence…

— pour attendre…

— c’est mieux…

— (silence)

— (silence)

godot arrive. il tient à la main comme un long râteau de croupier, dont le manche fait environ 1 mètre. avec son râteau, il accroche les pieds d’un personnage et commence à le ramener vers les coulisses.

— (ad libitum :) je vous l’avais dit !

godot et lui sont sortis.

— (ad libitum :) à l’aide ! à moi ! au secours !

godot revient sur scène, lentement, pour pousser les jambes du personnage restant avec son râteau. quand le personnage est entièrement dans le trou, godot s’arrête, le regarde, puis sort.

— (ad libitum :) si je vous dis que je l’ai écrit !

(noir.)